(christopher gorham) ~ begin again

Kuala Lumpur, June 09
Un brouhaha permanent t’entoure alors que tu entres dans un petit restaurant de rue, commander le petit déjeuner à la façon des locaux et tu t’attires les regards furtifs et amusés des jeunes femmes de la table d’à côté ; elles n’ont sans doute pas l’habitude de regarder un occidental manger un « bubur ayam » avec autant d’appétit, sans se laisser rebuter par les condiments qui l’accompagnent. Ton collègue, qui devait te rejoindre et te faire visiter la ville t’a prévenu qu’il serait un peu retard, alors tu commences sans lui. T’avais lu dans le guide que les petit stands de rue, malgré leur aspect, sont les endroits qu’il ne faut surtout pas dédaigner car on y trouve la cuisine du pays dans tout ce qu’elle a de plus pur et authentique, et à des prix imbattables. Il n’est même pas encore dix heures et tu transpires déjà, cette humidité est un véritable enfer, tu ne sais pas si tu sauras t’y faire, tu ne rêves que de passer des heures entières sous la douche. Tu entends le patron, ou ce qui te semble être le patron, parler au téléphone et restes hébété devant cette langue dont tu ne comprends pas un seul mot. D’une certaine façon, ça t’amuse. Tu sais que tu vas devoir faire avec une équipe à l’anglais parfois un peu incertain, mais ça fait partie de l’aventure et t’es bien décidé à en profiter au maximum, malgré le dépaysement, malgré la chaleur moite, le fossé culturel. Tu vas te prendre des baffes, une sacré leçon d’humilité, mais qu’importe, t’auras des souvenirs à raconter.

Calgary General Hospital, March '15
Le verdict est tombé. Jusque là, tu avais un petit espoir, tu pensais que ça pourrait être temporaire, le médecin l’avait dit, mais cette fois c’est terminé. Le verdict est tombé : innocent mais condamné. C’est injuste, mais c’est comme ça. C’est une prison qui ne se voit pas, mais ses barreaux ne sont pas moins froids, ni moins inquiétants.
L’obscurité. Elle est ton environnement à présent.
Tu te dis que tu n’as pas mérité ça, tu ne sais pas comment tu vas faire à présent, et pourtant il faudra bien que tu finisses par trouver une solution. Le choc est rude, bien plus violent que la déflagration qui t’a jeté à terre ce matin de février. Tu venais bosser, comme tous les jours depuis… Tu ne comptais même plus les années en réalité, peut-être bien dix ans. Ces locaux étaient devenus ta deuxième maison, tu en connaissais chaque pièce, chaque couloir. Tout est parti en fumée ; il n’y a sûrement plus que des débris et tu n’es même pas sûr que les quatre murs soient encore debout. Peut-être que si, malgré tout. Mais le pire, c’est de ne pas savoir ce qu’il est advenu des autres. Jones, Marshall, Buchanan aussi. – Mr Sheppard ? Le médecin te tire de tes pensées. Tu n’as pas vraiment écouté ce qu’il a dit, tu n’as entendu que les conclusion des derniers tests qu’il t’a fait passer, ceux qui te disent que tu ne retrouveras pas la vue. – Oui...Oui, je vous ai entendu docteur. Le ton est contenu, courtois, mais tu n’as qu’une envie c’est d’être de nouveau chez toi, tranquille, faire ton deuil.

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later that week,
Assis au comptoir de ce bar où tu avais l’habitude de te rendre avec les types de la brigade après une rude journée, tu joues avec ton verre, lui faisant décrire des cercles concentriques sur le zinc sans en boire le contenu, tu broies un peu du noir. C’était un beau service, sobre et simple, qui rendait justice à ton camarade, mais c’était malgré tout un adieu et tu détestes cette idée. Décidément, cette semaine ne pouvait pas être plus merdique. Un coup de téléphone te tire de ta torpeur et tu sursautes encore lorsque le système de reconnaissance vocal t’indique l’identité de l’appelant. Il va falloir t’habituer à ça aussi. – Gary, enfin une bonne surprise. Lances-tu d’un ton enjoué, réellement ravi d’être distrait de cette journée pourrie. – T’es d’étrangement bonne humeur huh… vu les circonstances. Au moins, il n’a pas ce ton contrit, ces paroles banales qu’on t’a servi tant de fois même si tu n’es pas le plus durement touché par cette double perte. – Hey, tu sais, j’ai ce pote qui travaille à la fac… Tu l’écoutes avec attention même si tu sais plus ou moins ce qu’il va dire ensuite. – Ils ont un vieux prof qui va prendre sa retraite, donc peut-être que tu peux prendre la suite. Ça leur fera pas de mal de rabaisser la moyenne d’âge. Ha, Gary et ses blagues… Tu souris en repensant à ces années de fac, lui dans sa matière de Geek, et toi.. Bon, toi en maths et sciences du comportement. T’as jamais pu faire simple, c’est plus fort que toi. Mais l’idée fait son chemin dans ton esprit. Enseigner. C’était pas vraiment ta vocation première, c’était pas ta vocation du tout en réalité, mais tout compte fait, c’est pas idiot comme idée de reconversion. T’as les qualifications pour.